Au-delà des opérations : droit, gouvernance et rôle des acteurs locaux

Dans une situation normale, les visiteurs internationaux, les organisations ou les donateurs doivent se conformer aux lois de l’État dans lequel ils se rendent. Dans un contexte de catastrophe ou de crise, cependant, dans lequel l’État est dépassé et a besoin d’une aide immédiate sous forme de fonds, de ressources et de compétences spécialisées, les lois qui régissent en temps normal le fonctionnement des entités étrangères peuvent s’avérer inappropriées ou empêcher une intervention rapide.
Pour faire face à ces circonstances exceptionnelles, il existe un ensemble toujours plus vaste de lois relatives aux risques de catastrophe et de cadres de gouvernance dont le but est de fournir aux acteurs communautaires, nationaux et internationaux des orientations pour la réduction et la gestion des risques de catastrophe et des risques liés au climat.
Le chapitre 3 s’intéresse aux mécanismes actuels de création du droit et d’outils de gouvernance, notamment de lois, de politiques, de normes contraignantes et de procédures administratives, et à la question de savoir s’ils favorisent une reconnaissance adéquate des acteurs locaux et la transition vers des partenariats plus équilibrés entre acteurs internationaux et locaux.
Acteurs locaux et gouvernance internationale pour les interventions humanitaires
Depuis des décennies, la communauté internationale prend des mesures pour créer un droit international des interventions lors de catastrophes et des politiques réglementant l’aide internationale et reconnaissant la souveraineté et l’autorité des gouvernements nationaux. Toutefois, de nombreux acteurs nationaux et locaux (au sein du contexte national) ont le sentiment qu’il existe toujours un fossé considérable entre la rhétorique de la réglementation et de la reconnaissance et la réalité sur le terrain, et qu’ils ne sont pas vraiment aux manettes – en ce qui concerne la prise de décisions au niveau mondial et les interventions internationales sur leur territoire.
Sur le papier, l’État et les autorités qui en relèvent ont une influence beaucoup plus grande que les autres acteurs locaux dans les systèmes internationaux de gouvernance des interventions humanitaires. Malgré tout, les gouvernements nationaux continuent d’exprimer des frustrations légitimes.
Lorsque le cyclone Pam a mis à l’épreuve les mécanismes d’intervention en cas de catastrophe du Vanuatu, l’aide extérieure a afflué des pays voisins et du reste du monde. L’arrivée massive d’organismes internationaux a lourdement pesé sur les structures et les institutions nationales du Vanuatu, donnant lieu à des récriminations mutuelles des représentants gouvernementaux et des organisations humanitaires sur un prétendu manque de coordination et un blocage de l’aide d’urgence. Le gouvernement du Vanuatu a appelé les acteurs internationaux à respecter la souveraineté des pays touchés par une catastrophe et à mener leurs opérations dans le respect des protocoles gouvernementaux en vigueur afin d’instaurer et de maintenir la confiance.
Si les « instruments » internationaux les plus formels sont très clairs sur le rôle des autorités nationales, ils ignorent largement la coordination et les cadres prévus pour les acteurs locaux et les organisations de la société civile dans le pays, notamment les ONG. Comme l’indique le chapitre 1, les « acteurs locaux » s’entendent d’un ensemble toujours plus divers de personnes, d’organisations, d’entreprises et de réseaux, qui jouent un rôle déterminant dans la réduction des risques de catastrophe et les interventions lors de crises. Au niveau national, les lois et les politiques confèrent un rôle grandissant à la société civile et au secteur privé, mais la mesure dans laquelle les gouvernements encouragent et apprécient leur participation est très variable.
On note une évolution vers une approche plus inclusive dans les documents d’orientation destinés aux organisations humanitaires. L’approche « sectorielle » améliore la planification, la coordination et la redevabilité dans les interventions internationales, par le biais d’une série de groupes sectoriels, coprésidés par les autorités gouvernementales compétentes et des organisations opérationnelles sélectionnées. Les chefs de file sectoriels sont strictement chargés d’assurer le développement des capacités locales et l’établissement et le maintien de liens solides avec les autorités et la société civile locales (Comité permanent interorganisations, 2006). Malgré le succès relatif que les gouvernements nationaux ont obtenu en intégrant le système des groupes sectoriels dans leurs cadres d’intervention nationaux respectifs, l’approche sectorielle reste largement critiquée parce qu’elle n’intègre pas suffisamment les autorités nationales ou infranationales et les ONG locales.
Acteurs locaux et gouvernance internationale pour la réduction des risques de catastrophe (RRC)
Les cadres internationaux relatifs à la réduction des risques de catastrophe sont actuellement régis par des accords non contraignants, bien qu’il existe des traités importants, en particulier au niveau régional. À l’inverse de l’action humanitaire, la participation et l’engagement directs des acteurs locaux et nationaux dans les structures internationales de prise de décisions en matière de RRC ont évolué plus rapidement vers une large intégration.
Le Cadre d’action de Sendai, adopté en 2015, va plus loin que les cadres précédents dans la mesure où il reconnaît explicitement le rôle central des gouvernements nationaux en matière de RRC et la nécessité de partager les responsabilités entre le « gouvernement central et les autorités, les secteurs et intervenants compétents au niveau national, compte tenu de la situation du pays et de son système de gouvernance ». Les déclarations spécifiques formulées dans le Cadre reconnaissent le besoin de donner des responsabilités en matière de RRC aux autorités et aux communautés locales.
Le chapitre 3 souligne que les catastrophes à évolution lente posent d’autres défis, les traités conférant dans de tels cas généralement tous les pouvoirs à l’État ou aux acteurs nationaux, excluant ainsi les autorités infranationales et les ONG.
Règles nationales relatives aux interventions humanitaires et à la réduction des risques de catastrophe
Si la gouvernance et le droit internationaux présentent des lacunes, le chapitre 3 montre que la législation et les procédures nationales sont insuffisantes dans de nombreux pays, et les capacités limitées. Dans certains cas, le peu d’enthousiasme des acteurs nationaux à jouer le rôle de coordination prévu compromet tant le succès des partenariats que l’efficacité des interventions humanitaires et des initiatives de RRC.
L’adoption de lois nationales relatives aux interventions en cas de catastrophe est souvent un processus difficile, complexe et politiquement sensible. Les autorités tant locales que nationales cherchent parfois à garder le contrôle des opérations pour répondre aux attentes des dirigeants. Dans d’autres situations, c’est le contraire qui se produit : elles cherchent à se rejeter la responsabilité ou la faute.
Au niveau national, les lacunes dans l’autonomisation aussi bien théorique que pratique des communautés, des organisations et des réseaux sont semblables à celles qui sont constatées au niveau international. Beaucoup de pays prennent des mesures pour combler ces lacunes, ce qui constitue un progrès encourageant, car Le manque de clarté compromet le travail des acteurs locaux, sur lesquels on compte souvent pour mettre en œuvre les cadres et les activités.
L’attitude dominante concernant le rôle des acteurs locaux de l’aide humanitaire et de la gestion des risques de catastrophe a changé au fil du temps, et la législation et la gouvernance internationales et nationales évoluent dans la direction souhaitée par la plupart des experts et des praticiens du domaine. Le chapitre 3 montre que l’objectif aujourd’hui est de faire en sorte que la réalité se rapproche encore davantage des attentes exprimées.
L’Indonésie fixe la norme pour la préparation juridique de l’aide internationale
Le tsunami de 2004 a été le catalyseur d’une importante réforme juridique et institutionnelle en Indonésie, qui dispose désormais d’un des cadres juridiques les plus complets au monde pour la gestion des catastrophes et les interventions en cas de catastrophe. Auparavant, il n’existait pas de procédure claire pour gérer les afflux massifs d’aide internationale.
Parmi les difficultés rencontrées, il y avait les taxes et droits prélevés sur les importations de secours, les interminables procédures de dédouanement, ainsi que le manque de cohérence et la confusion concernant la délivrance des visas et des permis de travail.
La Croix-Rouge indonésienne (Palang Merah Indonesia, PMI) a travaillé avec le gouvernement, des ONG et les principaux acteurs humanitaires comme les Nations Unies à l’élaboration d’un cadre juridique pour traiter ces problèmes. L’Indonésie a adopté en 2007 une nouvelle loi sur la gestion des catastrophes, suivie de dispositions réglementaires portant notamment sur le rôle des institutions internationales et des ONG étrangères.
Une directive élaborée en 2010 par l’Autorité nationale de gestion des catastrophes de l’Indonésie donne des orientations encore plus détaillées sur le rôle de l’aide internationale dans les opérations de secours.
De récentes catastrophes comme le tremblement de terre à Padang en 2009 et l’éruption du mont Merapi en 2010 ont permis de tester le système et de confirmer que d’immenses progrès avaient été réalisés.
Les autorités et la PMI reconnaissent la nécessité d’évaluer, de réviser et d’améliorer la législation et les cadres nationaux. Avec le soutien technique de la Fédération internationale et d’autres partenaires, des exercices de simulation visant à vérifier les rôles, responsabilités et mécanismes de coordination ont été organisés, des études ont été réalisées et des activités de diffusion et de sensibilisation ont été menées au sujet des Règles, lois et principes applicables aux actions internationales en cas de catastrophe (IDRL).
En 2015 et 2016, le Parlement indonésien réexaminera la législation nationale sur la gestion des catastrophes, et la PMI participera activement aux travaux.